De sa fenêtre du 14e étage à la cité des Fontenelles, elle jouit d’une vue panora-mique sur les tours Aillaud et sur celles de la Défense. Durant les heures passées dans sa chambre à lire et à réviser ses cours, elle s’est aussi emplie de la beauté particulière de son quartier. Alors, pour conserver ces images, Radia Fouchane, 20 ans, photographie les ciels rougeoyants, les grafs sur les murs, les bâtiments originaux, comme le foyer des musiciens Maurice-Ravel.
LE NEZ EN L’AIR, TELLE UNE TOURISTE
Son appareil photo en bandoulière, cette étudiante à l’université de Nanterre arpente depuis deux ans son quartier du Parc Sud en pleine rénovation. « Les habitants me prennent parfois pour une touriste parce que j’ai souvent le nez en l’air... » La jeune fille d’origine algérienne investit d’abord dans son propre appareil photo, avant de toquer à la porte de la structure information jeunesse (SIJ), en juin 2020. Elle est alors accompagnée dans le cadre du contrat nanterrien de réussite (CNR), ce qui lui permet d’obtenir un soutien de la ville et d’acquérir un nouveau matériel photo et vidéo. « J’ai été très bien entourée par l’équipe. Ils m’ont donné confiance en moi. » En guise de contrepartie, la ville lui propose de monter une exposition de ses photos du quartier sur la dalle Serpent, au cœur des tours Aillaud, le 23 juillet dernier. Une mise en lumière de son travail pas évidente à assumer pour cette jeune femme pudique, mais qui est aussi une belle reconnaissance. « J’ai toujours vécu à Nanterre et, depuis douze ans, nous sommes installés “aux Pablos”. J’ai mis du temps à aimer ma ville. Il y a un côté dit “sombre” des cités et j’ai envie de donner de la couleur à ces espaces, de montrer une autre réalité, ma réalité. »
LA POÉSIE DU QUOTIDIEN
Cette sensibilité artistique, Radia l’a développée tout au long de sa scolarité au collège Évariste-Galois et au lycée Joliot-Curie. « Je me souviens de ma découverte des peintres impressionnistes et des visites qui m’ont beaucoup marquée, au musée d’Orsay, à l’Orangerie et à la maison de Monet, à Giverny. La spécialité théâtre au lycée a aussi compté dans mon attrait pour la littérature et la poésie. » Une poésie que Radia aime détecter dans sa vie quotidienne, comme lorsqu’elle surprend, dans le bus, un échange entre une maman et son petit garçon, lequel évoque à propos des tours Aillaud : « le quartier des gouttes qui ne tombent jamais par terre ». Aujourd’hui, entre ses études de langues, littératures, civilisations étrangères et régionales, et son activité de photographe amatrice, elle voit une continuité, une complémentarité évidente. « À l’université, je travaille sur les minorités culturelles et cela va de pair avec la ville de Nanterre qui est une véritable mosaïque culturelle. Chacun des habitants apporte sa singularité à la ville. » D’ailleurs, l’un des projets photo de Radia, intitulé Par leurs fenêtres, consiste à mettre en avant cette diversité. Représentant chacun des dix quartiers de la ville, un habitant est pris sur le vif accoudé à sa rambarde. Des portraits insérés sous forme de triptyques entre deux clichés de l’architecture environnante. La jeune femme est également férue de vidéo et souhaite réaliser un court-métrage documentaire sur Nanterre. Plus de 500 abonnés la suivent sur son compte Instagram, comme cette habitante qui la complimente : « Tu as le don de rendre la cité belle. » Elle, de son côté, compte bien poursuivre ses déambulations photographiques à travers toute la ville pour montrer d’autres facettes de la banlieue, loin des clichés habituels. En tant que « fille de la cité », elle fait sienne cette citation de l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat, dont elle a aimé l’adaptation de Cendrillon : « Si on vit dans son rêve, on dort, on n’agit pas. Et moi, je veux agir... pas dormir, vous comprenez ça ? Parce qu’on la mérite cette réalité qui nous attend. »