« C’était un truc de dingue », comme le racontent eux-mêmes Hugo, Gauthier et Pierre, amis, colocataires et artistes (de gauche à droite sur la photo). Le 25 août 2018 à New York, chez Christie’s, leur toute première œuvre – un portrait réalisé avec un algorithme – s’arrache 432 500 dollars sous leurs yeux éberlués. « On était blêmes, tellement sous le choc qu’on est rentrés en France le soir même. » Hugo Caselles-Dupré a grandi à Nanterre, il a rencontré Pierre Fautrel et Gauthier Vernier, deux copains d’enfance rueillois, au lycée. Chacun suit ses études : commerce pour Pierre ; économie pour Gauthier ; maths, statistiques et intelligence artificielle pour Hugo, « le petit génie », selon ses comparses. Un jour, au chevet de Pierre qui s’est cassé la jambe au ski, Hugo leur parle d’un nouvel algorithme capable de générer des images (*). « On connaissait l’IA, l’intelligence artificielle, pour ses capacités d’optimisation de calcul et là, on découvrait une utilisation artistique possible, racontent Pierre et Gauthier. On en a débattu pendant des mois et puis on a eu envie de créer une œuvre. » Sans complexes, ils fouillent les banques de données de musées en ligne, compilent 15 000 tableaux classiques. _« On a choisi des portraits car ils appartiennent à notre imaginaire collectif. Il fallait partir de quelque chose d’iconique pour faire le pont entre le monde ancien et le monde actuel. »_ C’est l’IA qui propose ensuite les visuels, par un aller-retour complexe entre un générateur d’images et un discriminateur qui rejette les résultats ressemblant trop aux portraits d’origine. Un travail de titan qui demande des mois d’entraînement à l’algorithme ! Une première œuvre est mise en vente en ligne et provoque des réactions très contrastées. Finalement, Obvious édite une série de 11 portraits nommée _La Famille De Belamy,_ en hommage à Ian Goodfellow, l’inventeur de l’algorithme. Et un beau jour, le collectif reçoit un mail signé Christie’s… Hugo, Pierre et Gauthier n’ont aucune formation artistique. « Sans l’IA, on n’aurait jamais pu créer de l’art, on ne sait ni peindre ni sculpter. L’algorithme est un outil ultra performant mais c’est nous qui pilotons la démarche artistique. » Obvious signe ensuite une série d’estampes japonaises, fabriquées par un graveur français spécialiste de la lithographie japonaise traditionnelle sur bois. Puis des masques africains, en cours de sculpture par un artisan ghanéen. Les trois amis fourmillent d’idées et préparent une série autour des œuvres de Lascaux réinterprétées façon street art, autour de daguerréotypes ou de statues gréco-romaines. Depuis 2018, ils ont participé à des expositions à Saint-Pétersbourg, Pékin, Québec. Sollicités par Nike, ils ont signé une série limitée de baskets dont la couleur a été générée par l’algorithme. Et ils rêvent de s’emparer d’autres disciplines. Pourquoi ne pas écrire un roman avec l’intelligence artificielle ? Ils peuvent se permettre de rêver : « Cette vente nous a donné du temps, un vrai confort, une sécurité, on vit de notre passion, on est heureux. »
(*) GANs : Generative Adversarial Networks, soit des réseaux de neurones artificiels.
Obvious a participé au projet « Après » avec La Terrasse, espace d’art de Nanterre, dans le cadre du réseau TRAM.