Avoir 20 ans dans un pays en guerre laisse des traces. À 95 ans, Marcel Claquin ne se souvient pas de tout, « ma mémoire me joue des tours », concède le résident de la maison de retraite Sainte-Geneviève en se tapotant le front. Mais les émotions sont toujours aussi vives quand son fils lui lit des extraits des livres d’histoire qui retracent ses faits de résistance. Les expressions sur son visage en disent long.
16 ans quand la guerre éclate
Marcel avait 16 ans quand le conflit entre l’Allemagne et la France éclate en 1939. Il était élève à Concarneau, dans le Finistère sud, et admirait son professeur, Pierre Guéguin, maire communiste de la ville bretonne. « Pierre Guéguin a été arrêté et fusillé en 1941 à Châteaubriant, cette nouvelle nous a beaucoup meurtris. » Dans le petit village où il vit avec son frère et ses parents, à Pont-de-Buis, Marcel fait partie d’un groupe de jeunes rebelles communistes qui deviendront des Francs-tireurs et partisans (FTP) à partir de 1942. « Je me souviens, dès 1940, nous avions récupéré des armes des soldats français qui les avaient cachées près d’un lac après l’armistice. » En octobre 1941, Marcel est embauché à la caisse des assurances sociales à Quimper où il fait la connaissance d’un autre groupe de résistants, Libération-Nord. En novembre 1943, il participe à une opération coup de poing dans le commissariat de Quimper pour récupérer des revolvers. En janvier 1944, le groupe cambriole les bureaux du service du travail obligatoire (STO) de Quimper pour détruire 44 000 dossiers. « Les documents avaient été brûlés dans le four d’un boulanger », sourit-il. À ce moment-là, Marcel entre dans la clandestinité pour échapper au STO. « J’étais convoqué à la visite médicale, je n’y suis jamais allé. Je me suis caché dans un bois. » Les Allemands interrogent alors sa mère qui refuse de dire où se cache son fils. « Elle fera un mois de prison pour avoir tenu sa langue. »
Attaques des convois allemands
Pour faire dérailler les convois allemands, Marcel et ses copains de Pont-de-Buis qui appartiennent au mouvement de la Résistance intérieure créé par le Parti communiste français volent les outils du père de Marcel, employé des chemins de fer. « Nous avions également dérobé du phosphore à la poudrerie de Pont-de-Buis pour incendier les wagons. » Le 4 août 1944, Marcel fait encore partie du groupe de maquisards qui tirent sur les Allemands dont le repli commence. « Les fusils-mitrailleurs étaient parachutés par les alliés, j’ai appris à m’en servir en quelques heures. » Plusieurs camarades de Marcel meurent lors des échanges de coups de feu. « Quelques jours après, les Allemands se sont vengés dans le village, mais de cela, je ne veux pas parler. » Son fils confie, en aparté, que cet épisode atroce lui fait encore faire des cauchemars, soixante-quinze ans plus tard. À la fin de la guerre, Marcel s’engage dans l’armée française où il œuvre aux travaux de déminage entre Lorient et Saint-Nazaire. Le 8 mai 1946, il défile sur les Champs-Élysées, une photo en témoigne sur le mur de sa chambre. Le jeune soldat au physique d’athlète est admissible pour l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, mais il est recalé sans raison déclarée. « Peut-être est-ce parce que j’ai appartenu six mois à la jeunesse communiste ? » Durant ces années, Marcel rencontre sa future épouse, Yvette. En 1947, elle l’attire à Nanterre où Marcel entre aux PTT et devient syndicaliste CGT. Il occupera ensuite le poste de trésorier de l’Entente sportive de Nanterre et son fils, Yves Claquin, sera élu au conseil municipal de 1983 à 2001. Marcel conclut l’entretien par ces mots : « Ma plus grande fierté, ce n’est pas d’avoir la Croix du combattant volontaire ou la Médaille de la Résistance mais d’avoir bu des coups avec des Allemands après la guerre. Je suis devenu ami avec certains d’entre eux. Nos deux pays ont su tourner la page pour vivre en paix. C’est notre plus grand mérite. »