Le 20 mars, à l’invitation de l’association Zy’va, Mehdi Charef rencontrait de jeunes Nanterriens à la médiathèque du Petit-Nanterre. L’occasion pour lui de commenter son ouvrage, Rue des Pâquerettes, sorti en librairies en janvier. L’écrivain a longuement échangé avec les enfants de la troisième ou de la quatrième génération, à qui il a raconté son arrivée en France et ses souvenirs du bidonville de Nanterre.
« PERSONNE NE NOUS ATTENDAIT »
Avec un talent de conteur hors pair, Mehdi Charef dépeint les allées sombres et boueuses en contraste total avec les belles avenues pari- siennes qu’il a aperçues dans le taxi le menant de la gare d’Austerlitz à Nanterre. Dans son livre, il retranscrit à merveille le regard d’un gamin algérien de 10 ans qui débarque en France au début des années 1960 pour rejoindre un père terrassier. La honte d’habiter dans un bidonville, l’accueil bienveillant des instituteurs de la classe de rattrapage, le choc des cultures. « On ne nous a pas refoulés, disons que personne ne nous attendait vraiment », témoigne-t-il. Mehdi Charef raconte qu’il est rapidement devenu un bon élève en français, que ses professeurs lisaient ses rédactions devant toute la classe et lui offrirent un jour un dictionnaire. « Le plus beau cadeau que l’on pouvait me faire. »
L’homme de lettres revient ensuite sur les huit années passées en cité de transit, rue de Valenciennes à Nanterre. Il confie au passage qu’il prépare un deuxième récit consacré à cette période. C’est durant ces années qu’il obtient le certificat d’études, provoquant les youyous de joie de sa mère et le regard fier de son père. Ce dernier se dit alors qu’il n’est pas venu en France pour rien. Mehdi Charef partage un autre souvenir de cette époque : les poings levés de Tommie Smith et John Carlos aux Jeux olympiques de Mexico en 1968. Les deux sprinters américains s’érigent devant le monde entier contre le racisme à l’égard des Afro- Américains. « Ces types ont su dire “non”, cela me fascinait. Mon père, lui, n’a jamais su dire non au chef. »
« MON DESTIN A BASCULÉ »
Et puis soudain, le destin bascule. Devenu ouvrier à l’usine, il continuait d’écrire en rentrant du travail. « Je n’écrivais plus des rédactions mais des scénarios pour le cinéma. Le 7e art a toujours été ma grande passion. Je me souviens des péplums que je regardais dans l’ancien cinéma de la place de la Boule. » Un jour, il trouve dans l’annuaire l’adresse de Georges Conchon, scénariste en vogue au début des années 1980, à qui il envoie un feuillet de 70 pages. Ce dernier l’appelle quelques jours plus tard à l’usine puis le reçoit dans son bel appartement de la rue de Rennes. « Il était en robe de chambre, se souvient-il. Il m’a conseillé d’écrire un roman. J’ai pris un mois de vacances et j’ai écrit Le Thé au harem d’Archi Ahmed. Ma femme l’a tapé à la machine. » Le livre, considéré comme le premier roman de l’immigration, est édité chez Gallimard. Bernard Pivot l’invite dans l’émission « Apostrophes », Yves Mourousi l’interviewe dans son JT sur TF1. Puis Costa-Gavras l’appelle et le pousse à adapter le roman au cinéma. « Costa et sa femme m’encouragent non seulement à écrire le scénario mais aussi à réaliser le film. » Le Thé au harem d’Archimède sort sur les écrans en 1986 et obtient le prix Jean-Vigo et le César du meilleur premier film. La carrière de scénariste et de réalisateur de Mehdi Charef est lancée. Depuis, il a réalisé huit films, dont Miss Mona avec Jean Carmet ou Graziella avec Denis Lavant et Rossy de Palma, et fait paraître cinq romans aux Éditions Mercure de France. Lui qui reste dans l’ombre apprécie l’hommage que le cinéma Les Lumières lui a rendu en donnant son nom à l’une des salles de projection. « C’est ce que je voudrais dire aux jeunes de Nanterre : on peut avoir grandi dans un bidonville puis décrocher un César et voir une salle de cinéma porter son nom. »
Rue des Pâquerettes aux éditions Hors d'atteinte, 252 p., 17 euros.