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« J’écris pour ne pas disparaître »

Par Par Guillaume Gesret

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Dans son dernier livre, Rue des Pâquerettes, Mehdi Charef revient pour la première fois sur son arrivée en France en 1962, à 10 ans, dans le bidonville de Nanterre. L’écrivain et réalisateur y raconte l’humiliation, la boue et le froid du bidonville. Mais aussi l’enthousiasme de son instituteur, l’amitié des camarades, la douceur de sa mère.

Vous avez vécu plus d’un an dans le bidonville et huit ans dans la cité de transit rue de Valenciennes à Nanterre. Ensuite, votre famille a emménagé dans une HLM à Gennevilliers. Vous avez habité plus tard à Paris et depuis vingt-cinq ans, vous résidez à L’Isle-Adam. Gardez-vous un bon souvenir de Nanterre ?
Mehdi Charef : Oui, j’y ai de bons souvenirs. Je me souviens des copains du club de foot et de l’école où j’ai été très bien accueilli par le directeur, Monsieur Besson. J’ai en mémoire cet instituteur qui a lu un jour ma rédaction devant toute la classe et cette phrase qu’il a eue : « Jeune homme, vous ne serez pas sur les chantiers plus tard. » Je revois aussi ma mère ameuter la cité de transit en faisant le youyou quand je suis revenu avec le certificat d’études. Ce jour-là, j’ai vu dans les yeux de mon père qu’il se disait qu’il n’était pas venu pour rien en France. Mon père, qui ne sait ni lire ni écrire, nous avait fait venir en France pour qu’on aille à l’école. Comme je le rapporte dans le récit autobiographique que je viens de publier, il y a eu aussi des moments durs : le manque d’hygiène, la honte, le choc des cultures…

Pourquoi écrire ce livre maintenant, à 66 ans ?
M. C. : Raconter cette histoire est une manière de rendre mes parents vivants. Ils ont 92 ans aujourd’hui et ils ont été invisibles durant toute leur vie en France. Cette histoire doit être racontée, sinon elle va disparaître. J’ai également écrit ce récit pour mes enfants. Le bidonville ou la cité de transit pour eux, ce n’est qu’une photo en noir et blanc, rien de plus. Dans les familles, on ne parle pas de l’arrivée en France. Même chez moi, je ne voulais pas prendre la tête à mes enfants avec le bidonville et surtout je ne voulais pas me plaindre.

À travers ce récit, voulez-vous passer un message aux jeunes générations issues de l’immigration ?
M. C. : Je raconte pourquoi nous sommes venus en France. Mon père souhaitait fuir la colonisation pour travailler et gagner de l’argent en France. Il voulait aussi que ses enfants aillent à l’école car en Algérie, nous n’y allions plus à cause de la guerre. Dans les premières années, mes parents croyaient qu’on retournerait en Algérie, mais on est restés. Ma famille avait un salaire qui tombait tous les mois et on a fini pour avoir un logement HLM. Mes sœurs, mes frères et moi avons obtenu des diplômes qui nous ont donné accès à du travail en France. En Algérie, on n’était pas sûr d’avoir du travail. Et puis, au fil des années, la France est devenue notre pays, nous sommes d’ici.

Comprenez-vous que certains jeunes français issus de l’immigration aient la dent plus dure à l’égard de la France ?
M. C. : Je n’ai pas de rancœur vis-à-vis de la France. Au départ, personne ne nous attendait. Rien n’était prévu pour nous en 1962, seule l’école nous a accueillis tout de suite. Je considère en revanche que les jeunes générations ont plus de chance que nous. Maintenant, les municipalités comme Nanterre et les associations les envoient en colonie de vacances, les logent dans des lieux corrects, leur proposent du soutien scolaire, les emmènent au théâtre et dans les musées… On n’a pas eu droit à tout ça. Quand je propose des ateliers dans les collèges, je ne comprends pas que certains enfants des cités tournent le dos à l’école. Ils préfèrent invoquer les points négatifs de la France pour justifier leur manque de courage et traîner en bas des tours. Mais en adoptant ce comportement, ils disparaissent dans la masse. D’autant qu’il n’y a plus de travail pour ceux qui n’ont pas de diplôme maintenant. Moi j’ai toujours redouté de disparaître, c’est pour cela que j’ai écrit des livres, des scénarios et réalisé des films.

Mehdi Charef travaillait à l’usine quand il a publié en 1983 son premier roman, Le thé au harem d’Archi Ahmed. Deux ans plus tard, il réalisait l’adaptation au cinéma qui lui valut le César du meilleur premier film. Depuis, il a publié cinq autres livres, réalisé huit films et monté une pièce de théâtre.


Une rencontre est organisée le mercredi 20 mars entre Mehdi Charef et les jeunes de l’association Zy’ Va.